DISPOSITIFS NUMÉRIQUES POUR L’ENSEIGNEMENT DE LA LITTÉRATURE
Monique Lebrun, Nathalie Lacelle et Jean-François Boutin
DISPOSITIFS NUMÉRIQUES POUR L’ENSEIGNEMENT DE LA LITTÉRATURE
En mars 2017, la R2LMM consacrait son 5e numéro aux nouvelles pratiques dans l’enseignement de la littérature, ouvrant par là le vaste champ de la place du numérique dans la classe de lettres. Pour faire suite, voici un numéro entièrement consacré aux mutations de corpus littéraire et de pratiques d’enseignement-apprentissage soutenus par les outils technologiques en contexte intrinsèquement numérique. Notre revue n’est certes pas la seule à avoir traité le sujet, mais, en raison de ses choix éditoriaux, nous la croyons particulièrement bien placée pour faire ressortir les aspects multimodaux impliqués par l’usage du numérique dans l’enseignement de la littérature.
À l'école, la question de l'utilisation des œuvres littéraires dans un contexte résolument numérique demeure polémique, et ce, aussi bien en termes 1) d’accès aux œuvres ainsi qu’aux technologies qui les supportent, 2) de compétences didactiques du corps enseignant à (mieux) accompagner les élèves utilisateurs et 3) de développement de compétences de littératie médiatique multimodale (Lacelle, Boutin et Lebrun, 2017). De telles interrogations impliquent aussi bien la réception / compréhension (activités de lecture) du littéraire numérique, sa production (activités d'écriture) et le développement des nouvelles configurations d’oeuvres et de supports didactiques (Chartier, 2012; Davallon, Desperet-Lonnet, Jeanneret, LeMarec et Souchier, 2003), où l’intertextualité et l’hypertextualité (Bouchardon, Broudoux, Deseilligny et Ghitalla, 2007) sont désormais omniprésentes. Si les programmes disciplinaires s’ouvrent peu à peu à ces nouvelles réalités, désormais incontournables, on ne peut que souhaiter qu’une discipline telle la didactique du français, par exemple, favorise de plus en plus l’ouverture des élèves - et surtout de leurs enseignants - vers ces autres univers sémiotiques (Vandendorpe (2012) et qu’elle les amène ainsi à mobiliser différemment leur imaginaire et leurs savoirs sociaux (Saemmer, 2010). Résultats concrets d’un premier colloque de Grenoble (mars 2017) sur l’enseignement de la littérature en contexte numérique, les articles du présent numéro de R2LMM devraient fort bien mettre la table pour un second colloque, celui-ci devant avoir lieu au printemps 2019 à Montréal, dans le cadre exceptionnel de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).
Après un préambule d’Alexandra Saemmer sur les étapes clés de la relation entre littérature et ordinateur, la thématique du présent numéro se décline en quatre volets. Le premier traite de la littérature de jeunesse à l’ère numérique. La contribution de Brigitte Louichon et Eleonora Acerra analyse les formes d’interaction entre le texte imprimé et l’œuvre hypermédiatique. Quant à Sonya Flory et Vincent Capt, ils proposent un essai de typologie des ressources numériques pour l’enseignement de la littérature de jeunesse. Dans une optique d’enrichissement didactique, Agnès Perrin‐Doucey et Eleonora Acerra analysent à la fois les démarches d’élaboration des ressources numériques et les pratiques effectives d’enseignement et apprentissage entraînées par l’utilisation d’un dispositif numérique, le logiciel LINUM.
Le deuxième volet du numéro aborde l’influence des pratiques extrascolaires numériques sur l’enseignement de la littérature. Laetitia Perret interroge la place du jeu vidéo et du serious game dans le discours officiel du Ministère français de l’Éducation nationale. C’est la pratique du booktube qui retient l’attention de Nathalie Rannou ; elle y voit un genre scolarisable grâce à la vidéo de lecteur. Aldo Gennaï et Maïté Eugène, pour leur part, sont interpellés par le book trailer ou bande-annonce littéraire comme outil publicitaire conçu sur le modèle des bandes annonces cinématographiques et ses possibilités d’intégration aux dispositifs didactiques d’enseignement de la littérature.
Le troisième volet est consacré à la revitalisation de l’enseignement du patrimoine littéraire par le numérique. Ida Iwaszko, Patricia Lojkine, Christine Evain et Chris de Marco racontent comment ils créent des livres numériques enrichis en format eZB à partir de textes patrimoniaux. Quant à Arnaud Laborderie, Claire Jeantet et Pascale Hellégouarc’h, ils explorent différents aspects du livre enrichi, de la conception aux usages en passant par les figures du lecteur, à partir du livre-application Candide publié par la Bibliothèque nationale de France.
Le numéro se clôt sur trois articles plus vulgarisés portant sur des expérimentations diverses en classe et dans le domaine de l’édition. Ainsi, Marie-Armelle Camussi-Ni, Catherine Daniel et Solenn Dupas, partant de l’édition enrichie de La Croisade des enfants de Marcel Schwob, se livrent à une réflexion sur les choix éditoriaux effectués et sur les hypothèses de réception qui les ont sous-tendus. Guillaume Vissac, pour sa part, fait état des choix artistiques éditoriaux opérés sur une oeuvre poétique, Kalces, de Florence Jou, Margaux Meurisse et Samuel Jan, en fonction de ses supports (papier, numérique, web). En toute fin de numéro, on trouvera la description et l’analyse d’une séquence construite à partir de la fable « Le loup et l’agneau » : Nathalie Drouin et Jean-François Massol y démontrent à quel point les ressources du Net facilitent l’appropriation de la fable.
Nous espérons que cette avancée scientifique dans le territoire désormais un peu moins méconnu de la littérature numérique et de sa didactique naissante saura susciter de nouvelles réflexions tant sur la littérarité de ces nouveaux objets que sur la prise en compte de la culture numérique des jeunes dans les parcours didactiques.
Références
Bouchardon, S., Broudoux, E., Deseilligny, O. et Ghitalla, F. (2007). Un laboratoire de littératures : littérature numérique et Internet. Paris : Éditions de la Bibliothèque publique d’information. Récupéré sur le site https://books.openedition.org/bibpompidou/214
Chartier, R. (2012). Qu’est-ce qu’un livre? Métaphores anciennes, concepts des lumières et réalités numériques, Le Français aujourd’hui. La question du numérique, enjeux, défis et perspectives pour l’enseignement des lettres, 178, 11-26, Paris : Armand Colin.
Davallon, J. Despres-Lonnet, M., Jeanneret, Y., Le Marec, J. et Souchier, E. (2003). Lire, écrire, récrire. Objets, signes et pratiques des médias informatisés. Paris : Éditions de la Bibliothèque publique d’information. Récupéré du site https://books.openedition.org/bibpompidou/394?lang=fr
Lacelle, N., Boutin, J.-F et Lebrun, M. (2017). Littératie médiatique appliquée en contexte numérique- LMM@. Outils conceptuels et didactiques. Ste-Foy : Presses de l’Université du Québec.
Saemmer, A.(2010). Lire la littérature numérique à l'université : deux situations pédagogiques, Études de linguistique appliquée (ELA), n°160, 411-420.
Vandendorpe,C. (2012). Lecture sur écran et avenir du roman. Dans C.Clivaz et J. Meizoz (dir.) Lire demain des manuscrits antiques à l’ère digitale (p. 69-80). Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes.