Culture et littérature à l’ère numérique
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Nous sommes envahis non seulement par les médias électroniques de toutes sortes, mais également par un discours pédagogique enjoignant les enseignants à revisiter leur pédagogie de façon à en tenir compte. Cet article se présente comme une réflexion préliminaire à l'adoption des modalités d’un tel changement de paradigme, plus spécialement dans les études littéraires, où a cours la notion de « classique», avec ce qu’elle suppose d’adhésion aux valeurs de beauté et d’universalisme, de tradition héritée du passé. Le propos est divisé en cinq sections. Après une interrogation sur le sens des nouvelles humanités issues du numérique suivent deux développements très liés, l'un portant sur les mutations de la lecture en fonction des nouveaux supports textuels et l'autre, sur l'appréciation du texte littéraire à l'heure de la lecture à l'écran. Les deux dernières sections, elles aussi dans le prolongement l'une de l'autre, abordent les pratiques informelles des jeunes à l'ère du numérique et comment l'école a commencé à en tenir compte.
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Liée à notre espèce fabulatrice, la transmission des histoires de toujours qui innervent le présent, initialement assurée par l’oralité puis, en Occident, par l’écrit et ses interprètes autorisés à l’adresse de ses héritiers, se libère aujourd’hui des coteries pour investir les médias de la modernité en tirant parti de leurs potentialités, avec l’énergie vitale qui la conduisit jadis vers l’écrit où elle fut sanctuarisée.
Cette troisième ère de la culture se déploie en un espace- temps ouvert, le cyberespace, qui englobe jusqu’au public des déshérités à qui elle fait découvrir le plaisir de la lecture comme jeu, jusque-là réservé au seul Lecteur. Le patrimoine, lui-même bousculé par les pratiques de la transfictionnalité, se régénère dans des œuvres multimodales qui repoussent les frontières de la légitimité culturelle.
La narration transmodale est-elle la forme esthétique d’une ère nouvelle de culture partagée ou bien, compte tenu des enjeux financiers, s’agit-il d’une usurpation, d’une « commercialisation » de l’enfance ? Dans un contexte où les valeurs et les références académiques sont, sinon contestées, au moins passablement chahutées, comment enseigner cette nouvelle littératie sans renoncer à la littérature ou s’enfermer dans de nouveaux académismes ?
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La lecture des élèves en difficulté est ici étudiée sous deux aspects. Une enquête menée sur trois ans auprès de deux classes de lycées professionnels bretons donne accès aux lectures personnelles des élèves interrogés afin d’en établir le corpus. Celui-ci permet de mesurer l’impact de la culture des écrans sur leurs choix de livres. Le deuxième aspect questionné est celui de la lecture et de la réception des œuvres patrimoniales proposées à l’école. En effet, la culture scolaire induit d’autres modes de lecture et des comportements spécifiques face aux livres. Des entretiens avec une douzaine d’élèves permettent de saisir une certaine influence de la culture des écrans sur leur réception des œuvres et leur résistance à la compréhension des textes. Nous proposons d’examiner quelles sont les conséquences de cette culture des écrans : constitue-t-elle un enrichissement ou bien bloque-t-elle l’accès à la culture « savante » que l’école tente de transmettre ? Nous observons un paradoxe de cette culture de l’image : si elle aide les élèves à comprendre et à apprécier un texte, elle est parfois un frein à l’imaginaire. L’apprentissage de la multilecture littéraire à l’école est donc un enjeu majeur pour conjurer une probable fracture culturelle.